À tort ou à raison, c’est avec les commentaires sur l’accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis que la notion de bulle de filtrage est parvenue dans le grand public. Nous sommes toutes et tous « otages » de notre passé sur le Web, à un degré ou à un autre. Les services en ligne que nous utilisons pour chercher et/ou recevoir de l’information l’adaptent selon la manière dont nous avons utilisé ces mêmes services par le passé. Pour un moteur de recherche, ce sera entre autre l’historique de recherche. Pour un réseau social, ce sera entre autre nos connections aux autres utilisateurs. Cela vaut pour tout service web pour lequel une inscription à un compte est requise. Mais notre bulle de filtrage personnelle se construit au-delà de nos comptes web: cookies, pixel espion, empreinte audio…
La plupart du temps, les services web affirment collecter les données d’utilisation pour « améliorer l’expérience de l’utilisateur », à savoir lui livrer des informations qui sont personnalisées pour lui seul. Pour ces services, le but ultime est que les utilisateurs restent ou reviennent le plus souvent possible chez eux. Cela peut avoir des avantages aussi pour les utilisateurs. Par exemple, refind est un bon service pour découvrir des contenus par rapport à ceux qu’on a déjà sauvegardés. Mais les dangers pour la formation d’une opinion, par exemple, sont évidents. Si, sur la base de mon historique d’utilisation, mon moteur de recherche ne me livre que des informations avec lesquelles je suis d’accord, puis-je me considérer vraiment informé?
Qui plus est, la manière dont fonctionnent les analyses et algorithmes qui délivrent ainsi les données aux utilisateurs est la « formule du Coca-Cola du 21e siècle ». Pour qui n’est pas dans le secret des dieux technologiques, il n’y a pas moyen de comprendre exactement comment la livraison de certaines informations plutôt que d’autres se réalise. L’utilisateur est tributaire de ce que les services veulent bien lui dévoiler à ce propos.
Comment échapper à la bulle de filtrage lorsqu’on recherche de l’information?
Pour réaliser une recherche vraiment décontextualisée de son propre « passé web », utiliser Tor Browser. Ce navigateur est plus connu comme la porte d’accès privilégiée au fameux darknet, mais peut tout-à-fait naviguer sur le Web visible (légalement). Le Tor Browser ne garde pas d’historique de navigation et limite au maximum les traces qui peuvent identifier l’utilisateur. Certains services web comme Google requièrent néanmoins un contrôle de sécurité minime (CAPTCHA ou autre) lorsqu’ils repèrent une visite provenant de Tor.
Si télécharger et installer Tor s’avère trop lourd pour une recherche rapide, il existe des moteurs de recherche généralistes qui limitent la transmission de données identifiantes (ou du moins prétendent le faire). Ma préférence va à Startpage, qui fournit en fait des résultats de Google, mais anonymisés.
Éviter les intermédiaires et tâcher d’aller au plus près des sources pertinentes est un principe de base d’une bonne recherche qui aide aussi dans la lutte contre la bulle de filtrage:
- Éviter les réseaux sociaux, à moins que la recherche ne concerne une personne.
- N’utiliser les moteurs de recherche que pour du dégrossissage.
- Une fois une bonne source trouvée, s’abonner à son fil RSS.
Pour limiter au jour le jour la bulle de filtrage, des contre-mesures passives sont possibles:
- Pour toute la connection internet, utiliser un VPN (aussi utile pour la sécurité en général). En voici une liste. Ma préférence va à AirVPN. Sérieusement se méfier des VPN gratuits.
- Interdire ou limiter les cookies (exemple dans Firefox).
- Utiliser des extensions comme le bloqueur de pub et de tracking uBlock Origin (voici une liste pour Firefox et Chromium).
À l’exemple de refind cité plus haut, la bulle de filtrage peut être exploitée à son avantage:
Dans les navigateurs web courants comme Firefox, il est possible de créer des profils d’utilisateur distincts. On peut alors les utiliser pour des situations différentes. Par exemple, un profil pour un projet de recherche particulier, un autre pour une enquête, un troisième pour ses études. Il est utile de garder et de laisser des traces qui resteront dans leur profil respectif. Mais il faut rester conscient que certaines de ces traces dépassent le navigateur web: adresse IP (si pas de VPN/pas de Tor), adresse MAC… Et, plus prosaïquement, les simples données personnelles qui peuvent être recoupées d’un profil à un autre, par exemple si on utilise une même adresse e-mail pour se connecter à des services dans différents profils. Selon la nature et la sensibilité de ce que l’on recherche, une réflexion sur une compartimentation du travail de recherche doit précéder toute utilisation technique.
Ces conseils ne sont pas exhaustifs, mais sont une bonne base pour reprendre le contrôle sur l’utilisation de l’information.
Crédit photo: Tom Wachtel via Visualhunt.com / CC BY-NC-ND